Pendant le temps de notre passage en ce monde, nous ressentons de ce fait comme il est normal, non sans de constantes difficultés, le lourd poids de la division qui s’exerce en nous, un poids sous la forme d’un joug pesant qui nous rappelle, à chaque instant, les exigences d’une vie qui fut à l’origine uniquement immatérielle et spirituelle, et qui est aujourd’hui, pour notre punition, une existence détenue dans les étroites limites du monde des apparences matérielles

L’homme est – selon l’enseignement du courant illuministe qui insiste sur l’événement considérable que fut la « rupture originelle », ou Chute adamique -, un être déchiré entre deux principes, divisé entre « deux vies ». Martinès de Pasqually avait déjà largement engagé une réflexion pertinente sur cette question [1].

De même, comme l’explique Jean-Baptiste Willermoz dans un texte participant de ses « Cahiers » doctrinaux : « Il existe dans la nature et principalement pour le mineur-homme, pour l’Adam dégradé et puni, deux vies très distinctes qu’on ne peut jamais confondre sans tomber dans les plus grands dangers ; l’une est la vie spirituelle-active ou de l’esprit, l’autre est la vie universelle passive qui est celle de la matière …[2]»

Ainsi, fracturé entre la « puissance de la vie divine qui est en lui » en tant qu’âme « émanée » de la Divinité, et son corps grossier aux appétits animaux dans lequel il est enfermé, un corps qui est soumis à la dégradation et à la mort, et dont il doit apprendre à se détacher, à se déprendre, en prenant conscience que cette enveloppe de chair, déterminée par les « Ténèbres » de la matière [3], placée sous l’emprise inexorable du « novénaire » qui est une loi de limitation « arithmosophique » et ontologique propre à la vie terrestre, est destinée, par la loi de dissolution [4], à la corruption de la tombe.

Pendant le temps de notre passage en ce monde, nous ressentons de ce fait comme il est normal, non sans de constantes difficultés, le lourd poids de la division qui s’exerce en nous, un poids sous la forme d’un joug pesant qui nous rappelle, à chaque instant, les exigences d’une vie qui fut à l’origine uniquement immatérielle et spirituelle, et qui est aujourd’hui, pour notre punition, une existence détenue dans les étroites limites du monde des apparences formelles, ce en quoi réside le sens de l’expression que Jean-Baptiste Willermoz fit figurer dans « l’Instruction morale d’Apprenti », à savoir l’« union presque inconcevable »  qui est en nous « de l’esprit, de l’âme et du corps, qui est le grand mystère de l’homme et du maçon, figuré par le temple de Salomon » [5], un homme donc, formé de « deux natures » que tout, absolument tout, oppose : « L’homme actuel est composé de deux natures différentes, par le lien invisible qui enchaîne son esprit à un corps de matière. Son esprit étant une émanation du principe divin qui est vie et lumière, il a la vie en lui par sa nature d’essence divine éternelle, quoiqu’il ne puisse produire les fruits de cette vie qui est en lui que par les influences de la source dont il émane [6]

Le Phénix Renaissant, « La Science de l’Homme», Éclaircissements sur la double nature, n° 5, 2019, pp. 21-24.

Notes

[1] « Puisque l’être spirituel mineur n’est que le fruit de l’opération de ces trois principes divins, il fallait que le premier homme portât les marques de son origine et qu’il eût par conséquent ces trois principes innés en lui, lorsque l’Éternel le détacha de son immensité divine pour être homme-Dieu sur la terre. » (Traité, § 47).

[2] Jean-Baptiste Willermoz,  9ème Cahier, « Explications préliminaires servant d’introduction aux chapitres suivants qui contiennent la description des faits spirituels concernant la création de l’Univers physique, temporel, et de ses parties principales », Bibliothèque Nationale, FM 508).

[3] « Les éléments de toute corporisation quelconque ont été primitivement renfermés dans le Chaos ; au moment de son explosion et par le ministère des agents secondaires qui y ont inséré un Principe de vie passive, ils sont devenus les trois éléments de la Matière : Feu, Eau et Terre, ayant une destination future que l’homme a anticipée. Voilà les Ténèbres qui proviennent de la Matière et ne sont point dans aucun cas une Lumière… » (Jean-Baptiste Willermoz, Lettre à Turckheim, 12-18, VIII 1821).

[4] « La dissolution neuvaire anéantit tout corps et toute vertu des corps.» (L.-C. de Saint-Martin, Des Nombres, selon la copie du manuscrit original par le lithographe Leroy, 1843).

[5] Régime Écossais Rectifié, Rituel du Grade d’Apprenti, 1802, B.N.F., Ms. 512-541.

[6] Les leçons de Lyon aux élus coëns, Leçon n°88, 7 février 1776.