« L’homme déchu de ses droits est devenu incapable de créer la pensée qui peut le rapprocher du Créateur, mais, par un effet de sa miséricorde infinie pour sa créature, il lui fait suggérer cette pensée bonne par ses agents, afin qu’elle produise en lui de bons désirs, et voilà la grâce suffisante universelle… »

Lorsque par « grâce », ce qui implique l’action de la « grâce pleinement efficace » de Dieu, l’âme parvient à écarter les séductions trompeuses qui lui sont dictées par le démon, alors l’esprit et l’âme accèdent à une capacité à se tourner vers le bien, et à se détourner, par le mouvement inverse, du mal.

Sachant que la « grâce suffisante universelle » à laquelle fait allusion Jean-Baptiste Willermoz, et la notion qu’il désigne sous ce nom, n’est autre en réalité, si on lit avec attention son texte, qu’une « suggestion » par les agents divins d’une « pensée bonne » dans l’être déchu de ses droits, afin « qu’elle produise en lui de bons désirs », ce qui écarte l’idée illusoire d’une prétendue « liberté » au profit d’un agir surnaturel intervenant dans la direction de vie de la créature, agir qui est seul capable de l’orienter vers le bien :

« L’âme, en faisant son choix, chasse loin d’elle l’intellect bon ou mauvais dont elle a refusé l’insinuation, pour s’unir de volonté et d’action à celui qu’elle a librement préféré. Or, la réjection constante de l’un doit puissamment fortifier l’action de l’autre, qui reste pour ainsi dire toujours présente, jusqu’à ce que l’intellect agent soit parvenu à rapprocher tellement les deux êtres sur lesquels il actionne qu’il les unisse ensemble, et c’est cette jonction immédiate de l’esprit à l’âme, opérée par l’intellect, qui établit l’union de volonté et constitue ce que l’on appelle habitude au bien, habitude au mal [1]. »

Willermoz poursuit :

« L’homme déchu de ses droits est devenu incapable de créer la pensée qui peut le rapprocher du Créateur, mais, par un effet de sa miséricorde infinie pour sa créature, il lui fait suggérer cette pensée bonne par ses agents, afin qu’elle produise en lui de bons désirs, et voilà la grâce suffisante universelle. L’homme écoutant, épurant ces bons désirs, effets naturels de la pensée bonne qui lui a été suggérée, mérite de plus en plus les secours et la protection de l’esprit. Ses secours lui sont apportés par l’intellect, dont la présence devient plus habituelle et opère enfin la jonction immédiate de l’âme avec l’esprit. Cette jonction étant faite, l’âme est entièrement fortifiée et l’intellect bon entoure le mineur pour le défendre et repousser les attaques des intellects mauvais, et voilà la grâce efficace [2]. »

Rappelons – et Jean-Baptiste Willermoz montre par ses écrits qu’il ne fut pas étranger à ces questions touchant à l’action de la « grâce » -, que c’est pour redonner à l’action divine sa pleine dimension que Cornelius Jansenius (1585-1638), évêque d’Ypres, rédigea au XVIIe siècle une immense étude afin de préciser de nouveau, et avec une précision érudite exceptionnellement développée, la doctrine augustinienne de la grâce, sous le titre « d’Augustinus » [3], étude dans laquelle il était démontré […] qu’il n’y a en réalité, sous les termes de « grâce suffisante » et « grâce efficace », qu’un seul et unique type de « grâce », toujours « efficace » en elle-même et dans son effet, puisque s’il s’agit d’une « grâce », elle ne peut être octroyée que  par Dieu, un Dieu dont la volonté est de nature obligeante et providentielle, ceci nous portant à comprendre pourquoi la donation de sa « grâce » est toujours « nécessitante », ce qui signifie, de façon claire, que nul ne peut y résister.

Le Phénix Renaissant, « L’immortalité de l’âme, son ‘‘émanation’’ et sa ‘‘réintégration’’ selon le Régime Écossais Rectifié », n° 7, 2021, pp. 143-145.

Notes.

[1] Leçons de Lyon, n° 107.

[2] Ibid. Évoquer, comme le fait Willermoz dans son texte, les notions de « grâce suffisante » et de « grâce efficace », ceci à quelques décennies des débats virulents qui apparurent au XVIIe siècle à propos de la question de la grâce, sans oublier l’immense succès littéraire des Provinciales, lettres rédigées par Blaise Pascal (1623-1662) et qui eurent un effet considérable sur les âmes chrétiennes de l’époque, n’est évidemment pas le fruit du simple hasard et participe d’une intention dont on peut aisément percevoir le sens sur le plan spirituel. Rappelons que l’origine du conflit dans l’Église, provient des thèses soutenues par le moine Pélage (360-420), qui osa affirmer que l’homme, par ses actes, pouvait librement faire son salut et obtenir le bien, ceci sans l’aide de Dieu, ce qui était, positivement, une négation objective des conséquences du péché originel et le refus d’admettre l’affaiblissement des dons naturels et la perte des dons supranaturels dans les créatures depuis la désobéissance d’Adam.

[3] L’Augustinus  était accompagné du sous-titre suivant : « In quo hæreses & mores Pelagii contra naturæ humanæ sanitatem, ægritudinem & medicinam ex S. Augustino recensentur ac refutantur » / dans lequel les hérésies et positions pélagiennes à l’encontre de la nature humaine, sa santé, sa maladie & sa guérison selon saint Augustin, sont examinées et réfutées.