« Le commencement qu’ont eu les âmes est pareil à la fin qu’elles espèrent, elles furent déjà sans aucun doute, dès le début, dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles… »

Afin d’expliquer la raison de la présence des âmes dans des composés charnels, Origène – dont le Régime Écossais Rectifié qui a hérité sa doctrine initiatique de Martinès de Pasqually († 1774) reprend les propositions -, fit sienne également une thèse qui se retrouve chez Plotin, connue sous le nom « d’ensomatose » (littéralement « l’enfermement » ou « l’immersion » dans un corps), c’est-à-dire d’un « éloignement » par lassitude, ou « refroidissement » de l’amour à l’égard de la Divinité, ayant conduit les substances intellectuelles à se mettre à distance de leur état d’union contemplative qu’elles avaient en partage avec le « Principe » [1].

La conséquence directe de ce « refroidissement », ne fut autre que la « chute », c’est-à-dire la  « descente » (katabolè) qui vit les âmes d’essence incréées, être brutalement précipitées des régions spirituelles où elles se trouvaient depuis l’origine, vers le monde terrestre matériel devenu pour elles un lieu d’exil « nécessaire », et une terrible prison.

Analysant le texte de l’Écriture, Origène s’attacha à mettre en lumière le sens de la formule utilisée par les synoptiques lorsqu’ils évoquent la « fondation du monde » (Matthieu, 13, 25 ; 25, 34 ; Luc 11, 50), formule reprise ensuite par saint Paul dans ses Épîtres, qui fait référence à une notion de « descente », d’évidente dégradation. Les écrivains sacrés employèrent le terme καταβολή (katabolè), provenant du verbe καταβάλλω (kattaballô), c’est-à-dire l’action de « jeter de haut en bas » pour parler de la création du monde matériel, et Origène considérera que cela ne provenait pas d’un contresens de leur part, mais d’une nette volonté de nous indiquer le caractère descendant du geste créateur, alors même qu’il eût été possible, et normal en pareille circonstance, d’utiliser le terme  kτίσις (ktisis), signifiant positivement « Création » au sens plénier et originel.

Origène écrit : « Je pense que, puisque la fin et la consommation des saints s’accompliront dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles, d’une réflexion sur cette fin on peut déduire, selon le principe que nous avons fréquemment exposé, que les créatures raisonnables ont eu un commencement semblable. Et si le commencement qu’elles ont eu est pareil à la fin qu’elles espèrent, elles furent déjà sans aucun doute, dès le début, dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles. S’il en est ainsi, sont descendues de haut en bas non seulement les âmes qui l’ont mérité par leurs mouvements divers, mais encore celles qui pour servir ce monde ont été menées, bien que ne le voulant pas, de ces réalités-là, supérieures et invisibles, à ces réalités-ci, inférieures et visibles. À la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, afin que le soleil, la lune, les étoiles et les anges de Dieu accomplissent leur ministère envers le monde..[2]»

Le Phénix Renaissant, « L’immortalité de l’âme, son ‘‘émanation’’ et sa ‘‘réintégration’’ selon le Régime Écossais Rectifié », n° 7, 2021, pp. 80-82.

Notes.

[1] Dans une étude remarquable, André Bord a montré la proximité des vues plotiniennes avec celles du christianisme, ayant mis en lumière les correspondances thématiques existant entre Plotin et saint Jean de la Croix († 1591), notamment concernant la situation de l’âme tombée dans les « fers de la matière », ce qui n’est pas sans rappeler, évidemment, les positions d’Origène, qui participent d’une identique similarité sur le sujet en des termes quasi similaires : « L’âme a voulu être à elle, paradoxe, elle s’oublie, vit hors d’elle, à la poursuite de son ombre. Enchaînée, elle n’agit que par les sens. Devenue un fragment de l’univers, elle est assujettie au Destin. C’est la perte des ailes, l’emprisonnement dans le corps, la déviation de la voie innocente […].» (A. Bord, Plotin et Jean de la Croix, Beauchesne, 1996, p. 78.).

[2] Origène, Traité des Principes, Livre III, 8e traité, III, 5-6.