« Sans cette prévarication, il n’y aurait point eu de création matérielle temporelle, soit terrestre, soit céleste […] réfléchis sur cette création universelle, réfléchis sur ton émanation. Tu apprendras à connaître la nécessité de toute chose créée, et celle de tout être émané et émancipé. » (Traité, § 224).

Il est un point théorique qui est loin d’être anodin, et l’on pourrait même dire absolument essentiel pour la doctrine du Régime Écossais Rectifié, car ce type d’affirmation est unique sous la plume d’un docteur chrétien, ce point étant qu’Origène († 253) fait allusion explicitement à la notion de « nécessité » et de création « nécessaire », « nécessité » ayant conduit, en raison de la prévarication des esprits incorporels, le Créateur à façonner ce monde matériel : « Pour ces âmes qui, à cause des trop grandes défaillances de leurs intelligences, eurent besoin de ces corps plus épais et plus solides, et en vue de ceux à qui cela était nécessaire, ce monde visible a été institué. À cause de cela, par la signification de ce mot katabolè (καταβολή) est indiquée la descente de tous ensemble du haut en bas. Certes toute la création porte en elle l’espoir de la liberté, afin d’être libérée de la servitude de la corruption, lorsque les fils de Dieu, qui sont tombés ou ont été dispersés, seront rassemblés dans l’unité, ou lorsqu’ils auront accompli dans ce monde toutes les autres missions que connaît seul Dieu, artisan de l’univers [1]. »

Insistons sur le fait qu’il y a dans les lignes qui précèdent une formulation qui rejoint exactement celle qu’y se retrouvera plus tard chez Martinès de Pasqually († 1774) dans son « Traité sur la réintégration des êtres » [2] – formulation que reprendra à l’identique Jean-Baptiste Willermoz († 1824) dans ses écrits doctrinaux, l’adoptant jusqu’à faire de cette thèse un élément fondamental de la conception métaphysique du Régime Rectifié  -,  à savoir que le monde fut constitué non par l’effet d’une décision libre et l’expression d’un don d’amour immotivé du Créateur, mais suite à un événement antérieur qui s’imposa et rendit « nécessaire » l’institution du monde visible, monde matériel qui eut pour fonction d’accueillir les âmes défaillantes ayant perdu, après un « refroidissement » de leur état spirituel, les critères leur permettant de subsister dans l’immédiate proximité de la Divinité,

De ce point de vue, Origène ayant été le seul à soutenir cette proposition sur l’ensemble des auteurs chrétiens des premiers siècles de notre ère, on peut donc légitimement considérer qu’il se trouve à la source des conceptions doctrinales qui apparurent au XVIIIe siècle en milieu initiatique, et dont le Régime Écossais Rectifié conserve encore aujourd’hui le dépôt.

Le Phénix Renaissant, « L’immortalité de l’âme, son ‘‘émanation’’ et sa ‘‘réintégration’’ selon le Régime Écossais Rectifié », n° 7, 2021, pp. 85-86.

Notes.

[1] Origène, Traité des Principes, Livre III, 8e traité, III, 5-6.

[2] « Sans cette prévarication, il n’y aurait point eu de création matérielle temporelle, soit terrestre, soit céleste […] réfléchis sur cette création universelle, réfléchis sur ton émanation. Tu apprendras à connaître la nécessité de toute chose créée, et celle de tout être émané et émancipé. » (Traité, § 224).