Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), a expliqué lui-même à Frédéric-Rodolphe Saltzmann (1749-1821), membre luthérien de l’Ordre, dans une correspondance datée du 12 mai 1812 ce qui montre une certaine constance chez le patriarche lyonnais puisque déjà âgé de quatre-vingt deux ans à cette époque ! quels étaient les points oubliés par l’Église depuis le VIe siècle – points depuis condamnés, rejetés et considérés comme d’objectives « hérésies » par l’institution ecclésiale -, constituant la « doctrine » du Régime Écossais Rectifié  : « […] l’origine et la formation de l’univers physique, sa destination, la cause occasionnelle de sa création, dans tel moment et non un autre ; de l’émanation et l’émancipation de l’homme dans une forme glorieuse et de sa destination sublime au centre des choses créées ; de sa prévarication, de sa chute, du bienfait et de la nécessité absolue de l’incarnation du Verbe même pour la rédemption, etc. Toutes ces choses desquelles dérive un sentiment profond d’amour et de confiance, de crainte et de respect et de vive reconnaissance de la créature pour son Créateur, ont été parfaitement connues des Chefs de l’Église pendant les quatre ou six premiers siècles du christianisme. Mais, depuis lors, elles se sont successivement perdues et effacées à un tel point qu’aujourd’hui, chez vous comme chez nous, les ministres de la religion traitent de novateurs tous ceux qui en soutiennent la vérité [1]

Cette allusion à la « perte par l’Église » des vérités connues jusqu’au VIe siècle, puis oubliées et même combattues depuis-lors par les clercs, se retrouve de même dans le « Traité des deux natures », rédigé entre 1806 et 1818, ce qui montre une invariante position de la part de Jean-Baptiste Willermoz  :  « Le doute et l’erreur de ceux-là ne proviennent que de l’ignorance dans laquelle sont tombés généralement les hommes depuis longtemps sur la cause occasionnelle de la création de l’univers, sur les desseins de Dieu dans l’émanation et l’émancipation de l’homme, sur sa haute destination au centre de l’espace créé, et enfin sur les grands privilèges, la grande puissance et la grande supériorité qui lui furent donnés sur les tous les êtres bons et mauvais qui s’y trouvèrent placés avec lui.  Toutes choses que les chefs de l’Église chrétienne, auxquels la connaissance n’était presque exclusivement réservée pendant les cinq à six premiers siècles du christianisme, ont parfaitement connues  [2]

Il faut donc le reconnaître, après le rappel de ces affirmations fondamentales, il perdure d’importantes confusions à propos du Régime écossais rectifié, sur lequel de très nombreuses méprises ont été énoncées, troublant notablement la nature même de cet Ordre, car s’en est un, qui est certes « chrétien » en son essence, mais, comme on le constate, d’un christianisme singulier et original, désigné pour cette raison du nom de « christianisme transcendant », qui n’a strictement rien à voir, et de façon catégorique, avec une conception dogmatique ecclésiale qui lui est radicalement  étrangère, mais que l’on a pourtant cherché, pour d’obscurs motifs dont certains sont, il faut le reconnaître, peu avouables, à vouloir surimposer, en une sorte de prison théologique et idéologique artificielle, ceci au profit d‘une conception confessionnelle, réductrice et arbitraire, tentant d’imposer l’idée, aussi fallacieuse qu’impossible, d’une « complète harmonie » (sic) entre les thèses willermoziennes et les Pères de l’Église [3].

Le Phénix Renaissant, « Régime Écossais Rectifié et christianisme transcendant », n° 4, 2018, pp. 51-53.

Notes.

[1] Jean-Baptiste Willermoz, lettre à Frédéric-Rodolphe Saltzmann, 12 mai 1812.

[2] Jean-Baptiste Willermoz, Traité des deux natures, 1818.

[3] L’idée assez curieuse, et il faut bien l’avouer plus qu’étonnante même si elle s’avère intenable sur le plan argumentaire, d’une soi-disant « complète harmonie » (sic) entre les thèses willermoziennes relevant des positions caractéristiques de l’illuminisme, et les Pères de l’Église – idée qui est à présent venue accompagner et s’ajouter à une autre position, certes tout aussi erronée, quoique foncièrement contradictoire, mais on en est plus à chercher des cohérences en des domaines où les opinions personnelles, les vues subjectives et les convictions confessionnelles ont remplacé depuis longtemps l’analyse sérieuse, puisque laissant supposer qu’il y a bien des points « délicats » dans les thèses présentes au sein des Instructions du Régime rectifié, et appelant, en conséquence, à « amender », « opposer », « contrarier », voire « enrichir » la doctrine de ceux qualifiés de « petits maîtres » (en l’occurrence, visés sous cette dénomination avantageuse, Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz), pour la mettre en conformité avec les dogmes déclarés « intangibles » de l’Église (cf. Cahiers Verts n° 7, 2012, pp. 14-15 ; n° 8, 2013, pp. 12-13) -, provient d’une « vision » qui relève apparemment d’une patente et incontestable illusion d’optique qui pourrait toutefois participer, ce qui n’est pas à exclure à bien y réfléchir, d’une attitude vraisemblablement motivée afin d’essayer de justifier, a posteriori, une hypothétique logique entre l’exercice d’une charge de clerc ordonné au sein d’une église adhérant à la théologie des sept premiers conciles  et des canons qu’ils ont édictés, avec un engagement maçonnique dans un cadre initiatique participant du courant illuministe véhiculant des thèses objectivement « hétérodoxes » singulièrement étrangères en de nombreux points significatifs à la théologie conciliaire.