« Qu’heureuse est l’âme qui ne vit plus pour elle mais en qui Dieu vit ! C’est de cette âme qu’on peut dire ce qu’on dit du phénix  ‘‘qu’il renaît de s[es] cendre[s]’’, car n’est-elle pas changée complètement ? spiritualisée, transformée et déifiée ? »

Blaise Pascal écrivait, à juste titre, que l’immortalité de l’âme est la question la plus fondamentale à laquelle nous sommes confrontés dans nos existences ici-bas, car d’elle dépend le devenir de notre vie future après notre vie terrestre et notre entrée dans l’éternité : « L’immortalité de l’âme est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu’il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l’indifférence de savoir ce qui en est […] il est indubitable que le temps de cette vie n’est qu’un instant, que l’état de la mort est éternel, de quelque nature qu’il puisse être, et qu’ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l’état de cette éternité, qu’il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu’en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet [1]

La question de l’âme touche directement à notre vie éternelle, et elle y touche d’autant plus que cette vie, ayant vocation à s’étendre en effet à l’éternité en dépassant les étroites limites de la contingence terrestre, est par ailleurs appelée à se dérouler au sein même de la Divinité. D’ailleurs saint Augustin, déjà évoqué, nous confie cette précieuse vérité en forme de révélation extraordinaire « la vie de l’âme c’est Dieu » : « Il y a deux vies en nous, la vie du corps et celle de l’âme, la vie du corps, c’est l’âme, et la vie de l’âme, c’est Dieu [2]

L’union entre l’âme et Dieu, par son émanation, comme nous le savons est « substantielle », si bien qu’elle et Dieu ne forment plus qu’une seule et même identité, de même que l’âme donne au corps la vie dont il bénéficie, ainsi Dieu donne à l’âme sa vie surnaturelle, vie véritablement et formellement semblable à la sienne ; et cette vie constitue une union très réelle avec la Divinité, c’est-à-dire qu’elle indique que Dieu nous communique sa vie en communiquant à l’âme sa substance, ainsi il est possible de soutenir avec saint Augustin : « la vie de l’âme c’est Dieu. »

C’est pourquoi tout ce qui est matériel doit s’effacer car la création fut un acte contraint qui s’imposa par « nécessité » à l’Éternel qui, contre sa volonté primitive, fut forcé et obligé de donner l’ordre aux esprits ternaires de constituer l’univers pour y enfermer les démons, univers dans lequel, suite à sa prévarication Adam et sa postérité furent à leur tour précipités.

La vie future pour les âmes, lorsque la réintégration interviendra pour chacune d’entre elles, sera donc purement spirituelle, incorporelle et immatérielle, vision soutenue par Origène qui est bien à la source, comme il est aisé de le constater, de la doctrine du Régime Rectifié, dont le devoir expressément fixé par Jean-Baptiste Willermoz, est de conserver en fidélité et avec constance, les thèses du christianisme primitif « transmises par l’initiation d’âge en âge jusqu’à nous » [3] :

« Toute la nature corporelle sera transmutée. Il n’y aura plus que des corps spirituels subtils. Dieu sera tout en tous, en sorte que toute la nature corporelle sera réduite en la meilleure des substances, c’est-à-dire en la substance divine [4]

Les paroles de la « Règle Maçonnique », entendues si souvent, lues et répétées de nombreuses fois lors des travaux, mais restant pourtant abstraites et étant regardées par la plupart comme une sorte de littérature pieuse rédigée selon une formulation qui rappelle et évoque les discours édifiants des anciens bréviaires que les fidèles utilisaient pour leur vie religieuse lors des siècles passés, prennent donc une résonnance singulièrement importante après la découverte des connaissances qui ont fait l’objet de cette étude, nous permettant d’accéder, enfin, à la compréhension véritable de ce vers quoi nous portent, peu à peu, les pas effectués sur le chemin menant au « Sanctuaire », chemin nous dévoilant un des secrets les plus profonds de l’enseignement doctrinal de l’Ordre, à savoir « réunir notre âme » à la « source pure » dont elle fut émanée à son origine en nous dégageant, pour toujours, des « vapeurs grossières de la matière » qui nous séparent du Principe éternel  :

« […] cultive ton âme immortelle et perfectible, et rends-la susceptible d’être réunie à la source pure du bien, lorsqu’elle sera dégagée des vapeurs grossières de la matière [5]

*

L’âme est d’essence divine en son fond primitif, et en cessant ses opérations propres, en s’annihilant, c’est-à-dire en anéantissant en elle ce qui provirnt de sa volonté charnelle, et se tournant vers son principe et son origine qui est l’essence de Dieu en oubliant les choses d’ici-bas qui l’éloignent de sa vraie patrie céleste se détachant par là-même de « la foule des mortels qui végètent sur la surface de la terre » [6], elle se transforme et est portée, par une grâce invisible et purement gratuite, à la « divinisation », Dieu demeurant alors en l’âme comme il est en lui-même, puisqu’il n’y a plus dès cet instant deux êtres, deux substances éloignées séparées puis réunies et enfin « unies », mais « une » seulement, une seule et unique « essence » spirituelle, si bien qu’il n’est plus possible de distinguer une quelconque différence, la moindre distance entre l’âme ainsi divinisée ou « déifiée » et la Divinité elle-même : « Oh ! qu’heureuse est l’âme qui peut ainsi mourir, qu’heureuse est l’âme qui ne vit plus pour elle mais en qui Dieu vit ! C’est de cette âme qu’on peut dire ce qu’on dit du phénix ‘‘qu’il renaît de s[es] cendre[s]’’, car n’est-elle pas changée complètement ? spiritualisée, transformée et déifiée ? [7]»

Le Phénix Renaissant, « L’immortalité de l’âme, son ‘‘émanation’’ et sa ‘‘réintégration’’ selon le Régime Écossais Rectifié », n° 7, 2021, pp. 185-188.

Notes.

[1] Pascal, Pensées, Éditions : Lafuma, § 427, Sellier § 681.  On retrouve dans les lignes de Pascal sur la brièveté de la vie et son caractère de fragilité, ce qui n’est guère surprenant, une forte tonalité augustinienne, l’évêque d’Hippone n’hésitant pas à insister en des formulations saisissantes sur l’indigence de notre état en cette présente vie destinée à la mort, ce qui inspirera à Martin Heidegger (1889-1976) la désignation terminologique qu’il attribuera à  l’homme dans son ouvrage majeur « Être et temps » (1927), comme étant « un être vers la mort » (Sein zum Tode) : « En effet, dès que nous avons commencé d’être dans ce corps mortel, nous n’avons cessé de tendre vers la mort, et nous ne faisons autre chose pendant toute cette vie (si toutefois il faut donner un tel nom à notre existence passagère) […] » (Cf. Œuvres complètes de Saint Augustin, Bar-Le-Duc, 1863, Tome III, Ch. X « La vie des mortels est plutôt une mort qu’une vie ».)

[2] Enarrat. In  psal. 70, sermo 2, n.3, P.L. 36, 893.

[3] Au sujet de la nette et évidente influence d’Origène dans les instructions du Régime Rectifié, on pourrait se référer au domaine de la « Révélation » de l’Esprit Saint, qui ne passe pas par la voie classique des définitions dogmatiques, mais donne accès à ce qui excède toute compréhension et dépasse les connaissances habituelles, participant d’une interprétation spirituelle de l’Écriture Sainte sous la forme d’un véritable trésor métaphysique encore voilé au plus grand nombre des fidèles. Or c’est précisément cette authentique « théologie de l’Esprit » qui fait cruellement défaut dans les critiques ecclésiales formulées contre Origène depuis plusieurs siècles, critiques que l’on retrouve à l’identique chez ceux qui dénoncent le caractère « hétérodoxe » des thèses de la doctrine de l’Ordre. Or, l’approche des mystères et des vérités de la « Foi » par Origène, est effectivement un dépassement du dogmatisme rigide, mais rien n’indique, sur le plan de l’interprétation spirituelle de la « Révélation » en faisant appel et en ayant recours aux lumières de « l’Esprit », qu’il soit interdit de se risquer aux abords de l’extrême limite de « l’Abîme métaphysique » sur le plan spéculatif, « Abîme » qualifié par Léon Bloy  (1846-1917), auteur catholique s’il en est, de parfaitement synonyme du Père : « ‘‘Et Tenebrae erant super faciem Abyssi’’ (Gen. I, 2). Ce mot d’Abîme tient une place si singulière dans la Révélation, qu’on ne peut s’empêcher de croire que c’est un pseudonyme de Dieu, et que le cœur de cet abîme ne peut être que le Cœur de Dieu, le Cœur de Jésus-Christ adoré par toute l’Église . C’est donc cela qu’il faut s’attendre à voir lorsqu’il n’y aura plus aucune chose visible » (Léon Bloy, Dans les ténèbres, Mercure de France, 1918, pp. 72-73.)

[4] Origène, Fragment cité par s. Jérôme, Èp. ad Avit., 10, K., p. 290-291.

[5] Règle Maçonnique, op.cit., Art. II, § I, « Immortalité de l’âme ».

[6]  « Instruction morale du Grade d’Apprenti », in Rituel du Grade d’Apprenti, op.cit.

[7] Miguel Molinos, Guide spirituel, L. 3, ch. XIX « L’anéantissement parfait et véritable ».