« Le lieu où les justes reposent en attendant [la réintégration universelle] se nomme philosophiquement cercle rationnel, ou cercle saturnaire. C’est lui qui sert d’escabeau aux cercles surcélestes et c’est lui que l’Écriture fixe comme le lieu de repos des saint pères réconciliés envers le Créateur […] il ne suffit pas, pour la réintégration des êtres réconciliés, du temps qu’ils actionnent et opèrent dans le cercle sensible terrestre. Il faut, de toute nécessité, qu’ils actionnent spirituellement dans tous les espaces du cercle universel... » (Traité, § 133).

Une question revient toujours, légitimement, lorsqu’est abordé le sujet de l’immortalité de l’âme : est-il raisonnable de penser qu’après la mort, les âmes non totalement purifiées, ce qui ne leur permet pas d’atteindre immédiatement l’immensité céleste, puissent repasser par des d’autres cycles d’existence en ce monde en se réincarnant dans de nouveaux corps ?

Cette question qui suscite souvent  des avis nettement tranchés faisant qu’il est difficile de s’y retrouver du point de vue théorique, revient à s’interroger sur la thèse de la « transmigration des âmes » ou métempsychose, et il est vrai qu’Origène fut l’un des premiers à avoir professé, non la « réincarnation » stricto sensu, mais  la « pérégrination des âmes » (odusseus tôn psuchôn), ce qui signifie exactement « pérégrination des esprits », les esprits dénotant à la fois dans sa pensée les âmes et les anges.

Cependant il est à noter que cette pérégrination ne s’entend nullement en mode terrestre, elle indique qu’il y a des étapes avant de rejoindre l’immensité céleste, étapes qui sont autant de paliers purificatoires s’effectuant dans différents « mondes », infra-terrestres ou supraterrestres selon l’état spirituel de l’âme des défunts, dont l’Église théorisa d’ailleurs le nom sous la désignation générique de « Purgatoire » [1].

Martinès de Pasqually évoque quant à lui, non le « Purgatoire », mais les différents cercles planétaires qui sont autant de régions destinées à la purification de l’âme : « Le lieu où ces justes reposent en attendant [la réintégration universelle] se nomme philosophiquement cercle rationnel, ou cercle saturnaire. C’est lui qui sert d’escabeau aux cercles surcélestes et c’est lui que l’Écriture fixe comme le lieu de repos des saint pères réconciliés envers le Créateur. C’est là ce qui nous enseigne qu’il ne suffit pas, pour la réintégration des êtres réconciliés, du temps qu’ils actionnent et opèrent dans le cercle sensible terrestre. Il faut, de toute nécessité, qu’ils actionnent spirituellement dans tous les espaces du cercle universel, jusqu’à ce qu’ils aient fini le cours que le Créateur a fixé aux mineurs en les émanant de lui et en les émancipant de son immensité divine. » (Traité, § 133).

Les cercles par lesquels passent les âmes sont ainsi décrits : « les autres cercles planétaires inférieurs sont compris dans l’immensité du cercle sensible. Ces cercles inférieurs sont : Mercure, Mars, Jupiter, Vénus et la Lune ; et tel est l’ordre de ces sept cercles célestes planétaires : Saturne, 1 ; le Soleil, 2 ; Mercure, 3 ; Mars, 4 ; Jupiter, 5 ; Vénus, 6 et la Lune, 7. Cette fameuse montagne spirituelle t’enseigne donc la distance de la cour spirituelle divine à la partie céleste et celle de la partie céleste à la partie terrestre […] les esprits mineurs accomplissent leur opération spirituelles pures et simples, selon l’ordre immuable qu’ils ont reçu du Créateur, pour parvenir à leur réconciliation et à leur réintégration dans le surcéleste. » (Traité, § 217).

Le caractère original de ces régions planétaires dévolues à l’accomplissement de la réconciliation parfaite des âmes, fait que l’idée d’un temps de « purgation », ou « purification », semble donc acquise pour Martinès de Pasqually. [2] Il apparaît en conséquence, selon les penseurs qui sont à la source des enseignements du Régime Rectifié, que si l’idée d’étapes transitoires post-mortem, de type « purgatif » équivalent à la « pérégrination des âmes » dans la pensée origénienne, est tout à fait vraisemblable, toutefois la « réincarnation » entendue comme subsistance en ce monde d’une âme passant par différentes enveloppes successives soit difficilement acceptable.

Le Phénix Renaissant, « L’immortalité de l’âme, son ‘‘émanation’’ et sa ‘‘réintégration’’ selon le Régime Écossais Rectifié », n° 7, 2021, pp. 173-177.

Notes.

[1]  Le terme de « Purgatoire », sous la forme du substantif « purgatorium », n’est apparu que tardivement dans l’Église, puisqu’il fallut attendre le XIIe siècle pour que son emploi soit signalé, tout d’abord sous la plume de l’archevêque de Tours, Hildebert de Lavardin (1056-1130), exactement en 1133, puis dans une lettre de Nicolas de Saint-Alban, moine bénédictin, au cistercien Pierre de Celle († 1183), en 1176. Sur le plan officiel, la doctrine des « âmes » non totalement purifiées devant passer par le « Purgatoire » avant de rejoindre le Ciel, ne sera ainsi entérinée que lors du second concile de Lyon en 1274.

[2] Quant à Louis Claude de Saint Martin, il écrit de son côté : « Le purgatoire a, comme l’enfer, des régions. Là aussi, on ne se met point en route d’un relais pour la course suivante sans que les comptes aient été soldés. Ce sont, ça et là, les divers degrés de la grande série que nous avons à parcourir avant d’avoir atteint le dernier terme de notre destination originelle. Très généralement, dans la Réintégration, l’âme spirituelle et les essences corporelles sont obligées de déposer dans chaque région les substances des impressions que le mal y a faites… » (Mon Livre Vert, n° 356).