L’homme est en réalité « double », il n’est pas un être unique, mais une créature partagée entre deux existences, deux vies, deux puissances, deux principes et deux forces, voire, selon l’expression saisissante de Blaise Pascal (1623-1662), « deux âmes », qui ne cessent de se combattre et de se livrer une guerre permanente.

Joseph de Maistre, avec l’extraordinaire talent analytique qui fut le sien, s’est longuement penché dans son Éclaircissement sur les sacrifices, sur cette délicate question des « deux vies » antagonistes et opposées subsistant en l’homme.

Il reçut les premières lumières sur ce sujet fondamental alors qu’il s’instruisait des enseignements du Régime Écossais Rectifié en se rendant à Lyon auprès de Jean-Baptiste Willermoz pour parfaire ses connaissances initiatiques, ou lors d’échanges épistolaires très nombreux qu’il eut avec le maître lyonnais [1] -, postulant, à la suite des grands auteurs chrétiens, que l’homme est en réalité « double », qu’il n’est pas un être unique, mais une créature partagée entre deux existences, deux vies, deux puissances, deux principes et deux forces, voire, selon l’expression saisissante de Blaise Pascal (1623-1662), « deux âmes », qui ne cessent de se combattre et de se livrer une guerre permanente.

Maistre écrit :  « Pascal avait en vue sans doute les idées de Platon, lorsqu’il disait : ‘‘Cette duplicité de l’homme est si visible, qu’il y en a qui ont pensé que nous avons deux âmes ’’ [2]  […] il ne s’agit pas seulement de savoir comment un sujet simple est capable de telles et si soudaines variétés, mais bien d’expliquer comment un sujet simple peut réunir des oppositions simultanées ; comment il peut aimer à la fois le bien et le mal […] L’idée de deux puissances distinctes est bien ancienne, même dans l’Église. ‘‘Ceux qui l’ont adoptée, disait Origène, ne pensent pas que ces mots de l’apôtre : « La chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit » (Galates, V, 17) doivent s’entendre de la chair proprement dite ; mais de cette âme, qui est réellement l’âme de la chair : car, disent-ils, nous en avons deux, l’une bonne et céleste, l’autre inférieure et terrestre  […] l’Écriture sainte est sur ce point tout à fait d’accord avec la philosophie antique et moderne, puisqu’elle nous apprend : ‘‘Que l’homme est double dans toutes ses voies [3], [4]».

Le Phénix Renaissant, « La Science de l’Homme», Éclaircissements sur la double nature, n° 5, 2019, pp. 31-35.

Notes.

[1] Entre 1778 et 1782, Joseph de Maistre manifesta une véritable soif de connaissance, multipliant les courriers et sollicitant très régulièrement les maîtres lyonnais du Régime, afin d’obtenir de ceux-ci les lumières qui lui étaient nécessaires à ses recherches et à ses nombreuses interrogations.

[2] Pensées, III, 13. C’est à partir d’une réflexion sur l’évidence du péché originel, que Pascal en vient à considérer que la preuve tangible de cette corruption native dans l’homme, nous est fournie, concrètement, par la « duplicité » constituante d’un être divisé, de manière constante, entre deux tendances irréconciliables.

[3] « Homo duplex in viis suis. » (Jacques, I, 8.)

[4] J. de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, Ch. 1er , « Des sacrifices en général »,  1821.