« La simplicité du cher frère […] qui reconnaît tout bonnement que ce n’est point des hommes qu’il faut attendre de grandes connaissances, et qu’il faut les attendre d’en haut, est de beaucoup préférable, et le conduira plus promptement et plus sûrement au terme heureux qui ne dépend pas des hommes… »
Il faut être attentif au pénétrant avis de Jean-Baptiste Willermoz, destiné à Claude-François Achard (1751-1809), Vénérable Maître de La Triple Union à l’Orient de Marseille, portant sur l’attente des connaissances d’en haut qui ne dépendent pas des hommes : « […] ce n’est point des hommes qu’il faut attendre de grandes connaissances, il faut les attendre d’en haut [attitude] qui conduira plus promptement et plus sûrement au terme heureux qui ne dépend pas des hommes [1]. »
Cette disposition pieuse, qui caractérise l’esprit d’attente « d’en haut » des connaissances essentielles, la seule capable de nous faire parvenir à l’union divine – « Celui qui s’attache au Seigneur est avec lui un seul esprit» (Corinthiens VI, 17) -, est confirmée par le bienheureux Jean de Ruysbroek ou Jan van Ruusbroec (1293-1381), disciple de maître Eckhart, auteur de nombreux traités spirituels qui eurent une influence notable, aux XVIe et XVIIe siècles, sur la mystique espagnole et l’école française de spiritualité, prêtre béatifié en 1908 par le pape Pie X, et fêté depuis lors le 2 décembre, qui explique : « L’unité de notre esprit a deux modes, l’un essentiel et l’autre actif. Vous saurez que l’esprit, selon son existence essentielle, reçoit la venue du Christ en la nature nue, sans intermédiaire et sans interruption. Car cette essence et cette vie que nous sommes en Dieu, en notre image éternelle, et que nous avons en nous-mêmes, selon l’existence essentielle, sont sans intermédiaire et inséparées [2]. »
La connaissance spirituelle en l’homme, relevant de cette conscience première que « l’esprit vit en Dieu et Dieu en l’esprit », est rendue possible, selon l’affirmation explicite des mystiques et théologiens, par une perception, certes informulable et inexprimable, mais cependant immédiate du divin, manifestant ainsi, par mode subtil de vérité, la « présence », la marque, l’impression concrète laissée en son ouvrage par le « Principe Infini », marque qui n’est autre que le signe manifesté de l’Être suressentiel actif et vivant en notre âme, c’est-à-dire la « vérité » déposée au centre le plus intime de l’être rendant possible toute connaissance supérieure par l’effet d’une lumière transformante survenant lors de la découverte de la pensée de « l’Infini ». C’est d’ailleurs l’irradiation de l’Infini, à l’intérieur de notre esprit, qui, par réminiscence ou « perception intuitive », seule permet et fonde métaphysiquement la possibilité de connaissance que nous en avons. Il ne peut y avoir d’autre origine, d’autre source capable de nous transmettre ce savoir – véritable vestige divin imprimé à la racine la plus intime de notre être, qui rend possible l’accès à la contemplation et à la participation de ce qui est « l’Être de notre être » -, que le Verbe, le Logos, la « Lumière » qui « éclaire tout homme venant en ce monde » (Jean, I, 9) [3].
Le Phénix Renaissant, « L’Être éternel et infini et le Régime Écossais Rectifié », n°6, 2020, pp. 94-98.
Notes.
[1] J.-B. Willermoz, Lettre à Achard, 31 VII 1806.
[2] Ruysbroeck L’Admirable, L’ornement des noces spirituelles, IIe livre, ch. 57, Traduit du flamand et accompagné d’une introduction par Maurice Maeterlinck, Arbre d’Or, 2001, pp. 159-160.
[3] La question de l’intuition intellectuelle essentielle de l’Infini au centre de l’âme, prit une place très importante dans le débat théologique, notamment dans le sillage du courant issu du cartésianisme qui engagea une profonde réflexion sur le sujet, faisant que le thème se retrouva aussi bien sous la plume des hommes d’Église, comme François Malebranche (1638-1715) ou Fénelon, que chez les philosophes. C’est d’ailleurs en raison de la proximité des positions de Fénelon avec les thèses du courant spinoziste au XVIIe siècle, que s’explique la décision de l’archevêque de Cambrai d’entreprendre un examen critique des dites « thèses » dans son Traité sur l’existence de Dieu (1713).