« Exerce-toi sans relâche aux contemplations mystiques, abandonne toutes sensations et jusqu’aux spéculations de l’intelligence, laisse tout le sensible, tout l’intelligible, tout l’être et le non-être ; ainsi, autant que tu en es capable, tu seras surélevé par la voie de l’inconnaissance jusqu’à ne plus faire qu’un avec Celui qui est au-delà de toute essence et de toute connaissance...»
L’idée d’un Être créateur du monde, non en utilisant une matière préexistante mais à partir de « rien », conception telle qu’affirmée solennellement lors des premiers versets du livre de la Genèse [1], apparaît d’une façon très nette dans la prière d’ouverture des travaux au Régime Écossais Rectifié, prière qui adresse au « Grand Architecte de l’Univers » l’hommage de ceux réunis en sa présence, en le désignant selon une terminologie étonnement chargée de références métaphysiques relatives à la notion « d’être » :
« Grand Architecte de l’Univers, Être éternel et infini […] Ô Toi qui par Ta parole toute puissante et invincible as donné l’être à tout ce qui existe [2].»
Cette terminologie, originale et singulière est, bien évidemment, utilisée à bien d’autres endroits des rituels et textes du Régime maçonnique et chevaleresque fondé, lors du « Convent des Gaules » qui se déroula à Lyon en 1778, par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), présence qui, ne l’oublions-pas, fait l’objet d’un rappel particulier dans la Règle Maçonnique, en son Article I, où il est dit : « Ton premier hommage appartient à la Divinité. Adore l’Être plein de majesté qui créa l’univers par un acte de sa volonté, qui le conserve par un effet de son action continue, qui remplit ton cœur, mais que ton esprit borné ne peut concevoir, ni définir [3].»
Cependant, l’affirmation par la Règle Maçonnique du caractère « inconcevable » et « indéfinissable » de Dieu, qui peut paraître, à vue immédiate, catégorique et brutale en semblant, apparemment, mettre une limite à notre capacité de connaissance, ne doit pas nous surprendre, car elle participe d’une parfaite tradition spirituelle que l’on trouve largement répandue dans les premiers temps du christianisme primitif.
Ainsi saint Augustin (354-430), parmi les pères des premiers siècles, souligna avec justesse : « Nous parlons de Dieu : quoi d’étonnant que tu ne le comprennes pas. Si tu comprends, ce n’est plus Dieu […] c’est une grande félicité que de toucher Dieu ne fût-ce qu’un peu, avec notre esprit ; le saisir est impossible [4].»
En une sorte de résumé de cette approche « d’inconnaissance » de la Divinité, saint Denys l’Aréopagite, dans sa « Théologie mystique », ne craignit pas de soutenir que Dieu, insaisissable et indicible, était assimilable à la « Ténèbre », déclarant : « Ténèbre qui comble d’indicibles splendeurs les intelligences qui savent clore leurs yeux. Telle est donc ma prière. Quant à toi […] exerce-toi sans relâche aux contemplations mystiques, abandonne toutes sensations et jusqu’aux spéculations de l’intelligence, laisse tout le sensible, tout l’intelligible, tout l’être et le non-être ; ainsi, autant que tu en es capable, tu seras surélevé par la voie de l’inconnaissance jusqu’à ne plus faire qu’un avec Celui qui est au-delà de toute essence et de toute connaissance. En effet, c’est par la sortie de toi-même et de tout, – extase totale et irrésistible – que tu seras emporté vers la Suressentielle splendeur de la Ténèbre divine, étant affranchi et dépouillé de tout [5].»
Le Phénix Renaissant, « L’Être éternel et infini et le Régime Écossais Rectifié », n°6, 2020, pp. 15-18.
Notes.
[1] « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était un chaos, elle était vide ; il y avait des ténèbres au–dessus de l’abîme, et le souffle de Dieu tournoyait au–dessus des eaux. » (Genèse I, 1-2).
[2] Rituel du Grade d’Apprenti.
[3] Règle Maçonnique, Article I, ‘‘Devoirs envers Dieu et la Religion’’.
[4] S. Augustin, Sermon, 117, III, 5.
[5] S. Denys l’Aréopagite, Théologie mystique, P.G., t. 3, col. 997.