« Le doute et l’erreur de ceux-là ne proviennent que de l’ignorance dans laquelle sont tombés généralement les hommes depuis longtemps […]Toutes choses que les chefs de l’Église chrétienne, auxquels la connaissance n’était presque exclusivement réservée pendant les cinq à six premiers siècles du christianisme, ont parfaitement connues..

 

Le fait que le Régime Rectifié revendique un caractère explicitement chrétien, et ce dès les premiers grades dits « bleus » en raison de la couleur spécifique dévolue aux loges de saint Jean [1], n’empêcha pas Camille Savoire (1869-1951) après avoir effectué une évolution déterminante de son agnosticisme vers le spiritualisme actif, d’avouer nettement dans son « texte manifeste », que le caractère chrétien du Régime rectifié, n’avait jamais posé un problème pour le « croyant libre » qu’il était, attaché à l’esprit du « christianisme primitif » :

« Personnellement, j’avoue que le libre-penseur et le libre croyant que j’ai toujours été n’a manifesté, en entrant au Rite Rectifié, aucune hésitation, ni éprouvé aucun scrupule lorsqu’on lui a demandé de déclarer qu’il professait l’esprit du christianisme, surtout lorsque le Grand Prieur a ajouté : « Il s’agit ici de l’esprit du christianisme primitif résumé dans la maxime : ‘‘Aime ton prochain comme toi-même’’ [2]

Effectivement ce Régime, Camille Savoire a absolument raison en cela, nourri d’un « christianisme » imprégné de la pensée des premiers siècles, lorsque les lumières de la philosophie grecque se sont mêlées aux éléments de la « Révélation » de l’Évangile, n’est point soumis aux dogmes de l’Église – élément qui a échappé à une tendance qui imagina, en une notable et significative erreur qui eut des conséquences regrettables, qu’existait une similarité entre le christianisme de l’Ordre et celui de l’institution ecclésiale, ceci au point de soutenir, contre les évidences, la « complète harmonie » [3] des thèses du Régime avec l’enseignement de l’Église -, il professe un « christianisme transcendant », dans le sens où l’entendait Joseph de Maistre (1753-1821), et avec lui l’ensemble des penseurs illuministes, c’est-à-dire un christianisme n’imposant la pratique d’aucun culte en se rattachant à une « doctrine », ce qui signifie qu’il possède des « connaissances » que l’Église a perdues depuis le VIe siècle, Camille Savoire rajoutant sur ce point de l’éloignement de toute forme de dogmatisme, pour que les choses soient fort claires :

« L’Ordre n’a plus, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, aucun lien avec […] les dogmes dans leur conception actuelle... » [4].

D’ailleurs cette perte par l’Église depuis le VIème  siècle des « connaissances réservées », fut affirmée plusieurs fois par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1821), dont une directement dans l’instruction ostensible destinée au 5ème Grade d’Écuyer Novice, il le rappela dans son « Traité des deux natures » en ces termes :

« Le doute et l’erreur de ceux-là ne proviennent que de l’ignorance dans laquelle sont tombés généralement les hommes depuis longtemps sur la cause occasionnelle de la création de l’univers, sur les desseins de Dieu dans l’émanation et l’émancipation de l’homme, sur sa haute destination au centre de l’espace créé, et enfin sur les grands privilèges, la grande puissance et la grande supériorité qui lui furent donnés sur les tous les êtres bons et mauvais qui s’y trouvèrent placés avec lui. Toutes choses que les chefs de l’Église chrétienne, auxquels la connaissance n’était presque exclusivement réservée pendant les cinq à six premiers siècles du christianisme, ont parfaitement connues. Mieux instruits sur ces points importants, ils en auraient conclu que pour réhabiliter un être si grand, si puissant, il fallait Dieu même [5]

Le Phénix Renaissant, « 90ème anniversaire de la constitution du ‘‘Grand Directoire des Gaules’’, et ‘‘réveil’’ du Régime Écossais Rectifié en France (1935-2025) », n° 10, 2025, p. 164-168.

Notes.

[1] L’intelligence de Jean-Baptiste Willermoz, consiste à avoir autorisé un cheminement adapté à chacun selon son rythme et sa compréhension, donnant à tous les maçons rectifiés de découvrir lentement, et c’est une bonne chose qu’il ne faut point brusquer, ce que signifie la nature « chrétienne » de l’Ordre. Ce cheminement est bien sûr celui conduisant à l’adhésion aux vérités de la « sainte religion chrétienne », mais cependant – et cet aspect, pour avoir été oublié, a conduit à des interprétations étroites, fixistes et profondément erronées de ce en quoi consiste effectivement le caractère « chrétien » du Régime Rectifié -, ces « vérités » étant non pas dogmatiques mais d’essence « mystérique », puisque appuyées, nourries et fondées sur les bases du « christianisme transcendant ».

[2] C. Savoire, Regards sur les Temples de la Franc-maçonnerie, Éditions initiatiques, 1935, p. 332.

[3] J.-F. Var, La franc-maçonnerie à la lumière du Verbe, t. 1, Dervy, 2013, p. 16.

[4] C. Savoire, op.cit., p. 333.

[5] J.-B. Willermoz, Traité des deux natures, 1818, BM de Lyon, ms 5940.