« Le « mal » n’est en rien un « principe » coéternel au « Bien » pour Origène, mais un non-être, une non-substance ne possédant aucun des critères de l’indépendance ontologique, c’est pourquoi : « la [doctrine] d’Origène n’a rien de commun avec le manichéisme… »

 

Pour bien comprendre ce qui caractérise l’originalité du Régime Rectifié, et fait de lui un système à nul autre pareil au sein de la franc-maçonnerie universelle, il convient d’être conscient de la place centrale occupée par l’enseignement provenant de l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, que Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) plaça au centre même de la « Réforme » engagée à Lyon, conférant ainsi une dimension doctrinale au nouveau système qui succéda à la Stricte Observance.

Sans cette claire conscience il est impossible de percevoir ce qui distingue, et différencie radicalement le Régime Rectifié, non seulement de la Stricte Observance dont les buts et l’objet de reconstitution du Temple furent abandonnés et rejetés lors du Convent des Gaules et celui de Wilhelmsbad, mais également de tous les autres Rites dépourvus des « connaissances » propres à la doctrine martinésienne. La doctrine de Martinès de Pasqually († 1774) se résume en un mot emblématique, quasi programmatique du point de vue de l’initiation : « réintégration », une réintégration qui concerne celle des êtres spirituels, répondant à leur chute antérieure les ayant plongés au cœur des ténèbres du monde et les condamnant à un exil qui les coupe, les sépare de leur véritable origine.

Cette perspective de « réintégration » s’appuie sur un ensemble de thèses qui constituent le corpus conceptuel de la doctrine dont Jean-Baptiste Willermoz travailla, avec détermination constante et une énergie impressionnante, à en faire l’ossature théorique du système maçonnique et chevaleresque qui fut édifié entre 1778 et 1782, doté d’un enseignement qui relève des conceptions ésotériques provenant de sources reliées directement avec certaines vues du christianisme primitif.

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Il apparaît sur ce point effectivement, que tous les grands thèmes de la doctrine  martinésienne, étaient déjà présents chez Origène (v. 185-v. 253) – thèmes relatifs à l’émanation, la désobéissance des substances spirituelles ayant entraîné la création « nécessaire » du monde matériel [1], l’enfermement sanction dans des corps de chair, la destination à l’anéantissement de l’univers physique à la fin des temps -, et l’on comprend donc aisément pourquoi Joseph de Maistre (1753-1821) put soutenir, en prenant soin d’écarter l’erreur fréquente de confusion entre origénisme et manichéisme, puisque le « mal » n’est en rien un « principe » coéternel au « Bien » pour Origène, mais un non-être, une non-substance ne possédant aucun des critères de l’indépendance ontologique : « la [doctrine] d’Origène n’a rien de commun avec le manichéisme. On peut observer qu’elle est encore aujourd’hui la base de toutes les initiations modernes [2]».

Le Phénix Renaissant, « 90ème anniversaire de la constitution du ‘‘Grand Directoire des Gaules’’, et ‘‘réveil’’ du Régime Écossais Rectifié en France (1935-2025) », n° 10, 2025, p. 43-44.

Notes.

[1] La création du monde visible rendue « nécessaire » pour y enfermer les âmes déchues dans des corps de matière, est évidemment le point qui rapproche le plus étroitement la pensée d’Origène des thèses platoniciennes et gnostiques, ainsi que le souligna fort justement Charles-Émile Freppel (1827-1891), dans le cadre de son étude sur la pensée des apologistes chrétiens des premiers siècles : « Ce que Platon avait appelé la perte des ailes, dans son gracieux langage, équivaut chez Origène à une perte de chaleur ou à un refroidissement ; mais, au fond, l’idée est la même de part et d’autre. Aussi longtemps que ces intelligences, devenues plus tard les âmes humaines, conservaient en elles le feu divin, elles avaient une enveloppe fine, subtile, éthérée ; avec leur chute, ce vêtement s’est épaissi, pour faire place à un corps charnel et grossier. Dès lors, il fallait un monde nouveau qui pût être en harmonie avec ces âmes incarnées, et servir de théâtre à leur purification : de là cet univers visible que Dieu a créé pour elles. Le monde actuel doit donc son origine à la chute des âmes : il est le résultat d’un mouvement de haut en bas, d’une descente […] Or il est incontestable que cette théorie a un air de parenté avec les systèmes gnostiques… » (Mgr Freppel, Origène, Paris, Retaux-Bray, 1888, p. 400-401).

[2] Maistre, Mélanges B, in É. Dermenghem, Le Correspondant, 94ème Année, t. 287, n° 1432, 25 mai 1922, p. 302.