« Dieu sera pour l’initié l’Inconnaissable et l’Indéfinissable qui résume toutes les énigmes indéchiffrées concernant l’origine et la marche des mondes, la genèse et le mécanisme de la vie universelle. »
Camille Savoire (1869-1951), avant que de réveiller le Régime Rectifié en mars 1935, tint à préciser ce qu’il entendait par l’idée de Dieu, et son explication montre une très nette ouverture vers une conception très purifiée et non-anthropomorphique du divin, capable de déboucher sur « l’Inconnaissable », soit une « voie » qui pourrait s’ouvrir en direction de l’apophatisme théologique dans le continuité des penseurs de la tradition mystique, mais surtout dans la proximité de la kabbale qui situe l’Éternel, dépassant la capacité de la conscience à appréhender ce qui la dépasse radicalement, dans un inaccessible « néant » :
« Suis-je déiste ou ne le suis-je pas ? Que sais-je, pourrais-je répondre, imitant le sceptique Montaigne ; mais le scepticisme sied mal à l’esprit et surtout au cœur d’un Maçon ! Je veux également me garder, Maçon que je veux être, de la tendance de certains esprits les portant à interpréter péjorativement tels mots en se basant sur la signification étroite que l’opinion publique leur a attribuée : ainsi le mot Dieu et, par analogie, le mot déisme. C’est pourquoi, dans un sujet d’étude donné il y a quelques années aux ateliers supérieurs, j’avais […] demandé à leurs membres d’étudier la signification de certains mots : déisme, théisme athéisme, spiritualisme, etc. […] Le Maçon que je suis ne croira nécessairement pas à un Dieu tel que certaines religions révélées le présentent, c’est-à-dire anthropomorphe avec les défauts et qualités des hommes, parfois mercantilisé par les pratiques de ses représentants ; mais il s’élèvera également, avec Adolphe Franck [1], contre la myopie du positivisme, le néant de la science athée et le désespoir plus ou moins hypocrite du pessimisme.
À ses yeux, les audacieuses spéculations de la symbolique maçonnique, qui s’apparente à la science des nombres de Pythagore, à la Géométrie et même à la Kabbale, seront un appel énergique au sens de la Vie et au réveil du sens du divin. Dieu sera pour lui l’Inconnaissable et l’Indéfinissable qui résume toutes les énigmes indéchiffrées concernant l’origine et la marche des mondes, la genèse et le mécanisme de la vie universelle. Il pourra le considérer comme le faisait le professeur Roger, ancien doyen de la Faculté de Médecine de Paris, dans son ouvrage sur les Religions révélées (tome I, page 10) : ‘‘Dieu est le symbole de la force dont tous les phénomènes que nous percevons, expriment les aspects multiples et divers’’ [2].»
Le Phénix Renaissant, « 90ème anniversaire de la constitution du ‘‘Grand Directoire des Gaules’’, et ‘‘réveil’’ du Régime Écossais Rectifié en France (1935-2025) », n° 10, 2025, p. 76-77.
Notes.
[1] Adolphe Franck (1810-1893), philosophe spiritualiste érudit qui travailla sur la tradition de l’ésotérisme hébraïque, auteur d’un livre savant sur la Kabbale en 1844, publia une étude en 1866, dans laquelle il identifia la thèse de « l’émanation », dont on sait la place dans la doctrine du Régime Rectifié, comme provenant du Zohar : « Il découle tout entier du principe kabbalistique de l’émanation, conservé par Saint-Martin comme la partie la plus précieuse de l’enseignement de son premier maître, celle qui n’était communiquée qu’aux disciples les plus avancés et les plus pénétrants. Au principe de l’émanation vient se rattacher le dogme de la chute, entendu dans un sens qui le distingue entièrement du dogme chrétien et le fait rentrer clans le système métaphysique du Zohar. » (A. Franck, La Philosophie mystique en France à la fin du xviiie siècle : Saint Martin et son maître Martinez Pasqualis, Éd. Germer Baillière, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », 1866, p. 13).
[2] C. Savoire, Regards sur les Temples de la Franc-maçonnerie, Éditions initiatiques, 1935, p. 32-34.